L'origine de Cantate


Une origine Italienne

Petit poème composé de récitatifs et d'airs, et propre à être mis en musique. Ce nom est italien ; la mode des cantates, dit J.-J. Rousseau, nous est venue d'Italie. Ce genre, dont J.-B. Rousseau a fait présent à notre langue, et dans lequel, ainsi que l'a observé La Harpe, il n'a ni modèle ni imitateur, réunit le merveilleux de l'épopée, le pathétique de la tragédie, l'enthousiasme de l'ode pindarique, le gracieux de l'ode anacréontique, et l'harmonie de la musique.
Il parle tour à tour à l'imagination et au cœur : à l'imagination, dans les récits ; au cœur, dans les airs dont ils sont entremêlés.


La composition de la cantate

Les trois récits dont la cantate est coupée en sont, selon Rousseau lui-même, comme le corps, et les airs en sont l'âme. Le fond de la cantate doit être une allégorie exacte tirée de la mythologie, et d'où sortent naturellement les espèces de réflexions qui forment les airs de mouvements.
Dans ces airs, dont les vers ne doivent être que de cinq, de six, de sept, de huit, et au plus de dix syllabes, il faut faire en sorte que la première stance revienne sans effort et d'elle-même ; et que le passage du récitatif à l'air, et de l'air au récitatif, soit naturel et bien ménagé. Quant aux récits, ils sont en grands vers, ou du moins en vers mêlés d'alexandrins et autres.
« J.-B. Rousseau, dit M. Chaussard dans les sommaires analytiques de sa Poétique secondaire, a porté ce poème à la plus grande hauteur lyrique ; il s'y montre avec flexibilité le rival d'Anacréon et de Pindare. Cependant il a quelquefois prodigué les fleurs de la mythologie et même du madrigal. L'histoire ouvre une nouvelle route à la cantate mais elle attend un poète qui sache la traiter avec dignité et lui imprimer un caractère moral. »

Rousseau des fleurs du Pinde enrichit la cantate :
C'est là qu'en traits de feu toute sa verve éclate.
Circé, veuve d'Ulysse, en courroux a gémi ;
L'enfer, les cieux, la terre, à ses cris ont frémi.
L'aurore, en rougissant, du haut d'un char d'opale,
D'un regard fugitif caresse en vain Céphale.
Les Ægypaus, frappés du thyrse de Bacchus,
Tombent, mais consolés ; ce dieu boit aux vaincus :
Dans le brûlant désordre où sa lyre s'égare,
Peut-être que Rousseau fut vainqueur de Pindare.
Cependant de ce maître évitez le défaut ;
Parfois il descendit aux fadeurs de Quinault.
Le récit homérique expire en chansonnette,
Et l'aigu flageolet fait taire la trompette.
La fiction vieillit : célébrez, j'y consens,
L'histoire trop féconde en grands événements ;
Mais ne subissez point de mercenaire entrave ;
Chantez en vrai poète et non pas en esclave.
L'art doit entremêler, quel que soit le sujet,
Au récit pittoresque un moral intérêt :
La cantate est la fille et de l'ode et du drame.

(Chaussard, Poétique secondaire)


Cantate de Circé

Récapitulatif
Sur un rocher désert, l'effroi de la nature,
Dont l'aride sommet semble toucher les cieux,
Circé, pâle, interdite, et la mort dans les yeux,
Pleurait sa funeste aventure.
Là, ses yeux errants sur les flots,
D'Ulysse fugitif semblaient suivre la trace.
Elle croit voir encore son volage héros ;
Et cette illusion soulageant sa disgrâce,
Elle le rappelle en ces mots,
Qu'interrompent cent fois ses pleurs et ses sanglots :

Cantabile
Cruel auteur des troubles de mon âme,
Que la pitié retarde un peu tes pas,
Tourne un moment tes yeux sur ces climats ;
Et si ce n'est pour partager ma flamme,
Reviens du moins pour hâter mon trépas.
Ce triste cœur devenu ta victime,
Chérit encore l'amour qui l'a surpris :
Amour fatal ! ta haine en est le prix.
Tant de tendresse, ô dieux est-elle un crime,
Pour mériter de si cruels mépris ?

Cruel auteur des troubles de mon âme,
Que la pitié retarde un peu tes pas ;
Tourne un moment les yeux sur ces climats
Et, si ce n'est pour partager ma flamme,
Reviens du moins pour hâter mon trépas.

Récitatif
C'est ainsi qu'en regrets sa douleur se déclare ;
Mais bientôt de son art employant le secours
Pour rappeler l'objet de ses tristes amours,
Elle invoque à grands cris tous les dieux du Ténare,
Les Parques, Némésis, Cerbère, Phlégéton,
Et l'inflexible Hécate, et l'horrible Alecton.
Sur un autel sanglant l'affreux bûcher s'allume :
La foudre dévorante aussitôt le consume ;
Mille noires sapeurs obscurcissent le jour ;
Les autres de la nuit interrompent leur course ;
Les fleuves étonnés remontent vers leur source,
Et Pluton même tremble en son obscur séjour.

Cavatine
Sa voix redoutable
Trouble les enfers ;
Un bruit formidable
Gronde dans les airs ;
Un voile effroyable
Couvre l'univers ;
La terre tremblante
Frémit de terreur ;
L'onde turbulente
Mugit de fureur ;
La lune sanglante
Recule d'horreur.

Récitatif
Dans le sein de la mort ses noirs enchantements
Vont troubler le repos des ombres :
Les mânes effrayés quittent leurs monuments ;
L'air retentit au loin de leurs longs hurlements ;
Et les vents, échappés de leurs cavernes sombres
Mêlent à leurs clameurs d'horribles sifflements.
Inutiles efforts ! amante infortunée,
D'un dieu plus fort que toi dépend ta destinés ;
Tu peux faire trembler la terre sous les pas,
Des enfers déchaînés allumer la colère ;
Mais tes fureurs ne feront pas
Ce que tes attraits n'ont pu faire.

Air
Ce n'est point par effort qu'on aime :
L'Amour est jaloux de ses droits ;
Il ne dépend que de lui-même ;
On ne l'obtient que par son choix :
Tout reconnaît sa loi suprême ;
Lui seul ne connaît point de lois.

Dans les champs que l'hiver désole
Flore vient rétablir sa cour ;
L'alcyon fuit devant Éole ;
Éole le fuit à son tour :
Mais sitôt que l'Amour s'envole,
Il ne connaît plus de retour.

(J.-B. Rousseau.)

« La Cantate de Circé, dit La Harpe, a toute la richesse des plus belles odes de Rousseau, avec plus de variété : c'est un des chefs-d'œuvre de la poésie française. La course du poète n'est pas longue, mais il la fournit d'un élan qui rappelle celui des chevaux de Neptune, dont Homère a dit qu'en trois pas ils atteignaient aux bornes du monde. »

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