L'origine de Circulation du sang
Une découverte assez récente
On comprend sous cette dénomination le mouvement déterminé auquel est assujetti le sang dans les vaisseaux qui le contiennent. Le mécanisme qui en règle le mouvement et la distribution dans toutes les parties du corps ne fut découvert qu'en 1619 ; jusque là on n'en connaissait que des parties séparées. Il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer l'époque à laquelle on conçut l'idée de la circulation du sang contenu dans des vaisseaux.
Les Chinois et les grecs
Les Chinois, auxquels des auteurs attribuent l'honneur de cette découverte, s'éloignent tellement de la vérité dans leurs théories spéculatives, que l'on ne conçoit pas comment on a pu leur attribuer la connaissance de la circulation du sang. Ils assimilent aux changements périodiques du monde ceux du corps humain, font commencer la circulation de l'humide radical et de la chaleur vitale à trois heures du matin, et comparent enfin le pouls à une fleur renversée et dans l'eau. D'ailleurs, ne sait on pas que les sciences et les arts ne furent introduits chez eux que 126 ans avant J.-C., après que les Scythes eurent renversé l'empire des Grecs dans la Bactriane et la Sogdiane ?
434 ans avant J.-C., Hippocrate, cet observateur si profond, avait déjà des idées assez nettes sur la circulation du sang ; mais l'ensemble de cette fonction lui était inconnu. Après lui, Thessalus, Dracon et Polybe établirent les premiers l'école dogmatique, dans laquelle on essaya de marcher sur les traces du vieillard de Cos, mais on s'en écarta bientôt pour se livrer aux idées spéculatives. On négligea l'observation, et il paraît bien prouvé qu'on ne disséquait pas encore de cadavres humains à cette époque.
Les premières pistes
Aristote parle de deux idées dominantes de son temps, relatives à la circulation du sang, qui appartenaient, l'une à Syennesis de Chypre, l'autre à Diogène d'Apollonie ; leur peu d'exactitude ne permet pas de s'y arrêter. Citer une des opinions de Platon, dont on suivait la doctrine dans cette école, ce sera prouver le peu de fondement de l'opinion des auteurs qui rapportent à ce philosophe la découverte de la circulation. Platon admettait le passage des boissons dans le poumon, et cette opinion a été défendue avec chaleur par plusieurs dogmatiques. Aristote, le premier, assigne une origine aux gros vaisseaux dans le cœur ; avant lui, on les faisait partir de la tête pour se répandre ensuite dans les extrémités. Chalcédoine, le plus grand anatomiste de l'école d'Alexandrie, 321 ans avant l'ère chrétienne, est celui des anatomistes anciens qui a le plus disséqué de cadavres humains ; il ne décida pas d'une manière précise si les veines prennent naissance dans le cœur ou dans le foie.
L'évêque d'Emèse, Nemesius, dans le IIIe et le IVe siècle, est encore un de ceux auxquels on a fait honneur de la découverte dont nous nous entretenons. Il est
vrai qu'il établit une liaison générale entre les artères et les veines ; il rapporte la doctrine de Galien sur le sang spirituel que renferment les artères et qu'elles conduisent dans toutes les parties du corps, d'où il s'échappe par des pores imperceptibles. On voit aussitôt l'erreur. En 1347, Cannian reconnut les valvules de quelques veines. Sylvius et Vesale les avaient également connues. Enfin, en 1574, Paul Sarpi et Fabrice d'Aquapendente reconnurent ces valvules dans la plupart des veines du corps.
Ces différentes découvertes, faites isolément, ne donnaient pas l'explication du grand système de la circulation ; elles pouvaient tout au plus mettre sur la voie.
La découverte anglaise
En 1552, Michel Servet découvrit la petite circulation (celle qui se fait dans le poumon) : il publia sa découverte en 1555 ; mais il ne fait pas connaître la grande circulation. En 1585, Cesalpin d'Arezzo, médecin du pape Clément VIII, publia le meilleur traité qui eût encore paru sur la circulation du sang ; il serait le seul auquel on pourrait attribuer toute la gloire de cette découverte, s'il eût été plus exact, et s'il eût été d'accord avec lui-même lorsqu'il décrit la marche et la formation du sang.
Guillaume Harvey, né à Folkstone, dans le Kentshire, découvrit et démontra publiquement à Londres, en 1619, la route que le sang suit pour arroser toutes les parties du corps et concourir à l'entretien de la vie. Cette découverte éveilla l'attention de tous les savants, et suscita contre son auteur beaucoup d'envieux et de détracteurs ; en France, en Allemagne, en Hollande, en Angleterre même plusieurs libelles, furent lancés pour et contre ; des diatribes plus ou moins virulentes et grossières ne servirent qu'à mieux faire apprécier l'importance du sujet et la basse jalousie de leurs auteurs, dont quelques uns essayèrent de ravir à Harvey la gloire qui devait lui revenir de sa découverte, pour la reporter à des écrivains tombés dans l'oubli. L'historique abrégé, que nous avons fait, mettra le lecteur à même de juger si c'est à tort que l'on attribue aujourd'hui à Harvey l'honneur de la découverte si importante de la circulation générale du sang.
Delille est parvenu à la décrire d'une manière poétique.
Le cœur, ce viscère puissant,
Le réservoir, la source et le ressort du sang,
Qui, pour y retourner par des routes certaines,
De l'artère sans cesse emporté dans les reines,
De détour en détour, de vaisseaux en vaisseaux,
De sa pourpre en courant épure les ruisseaux.
Rencontre dans son cours ces valvules légères
Qui rouvrent tour à tour et ferment leurs barrières,
Une fois introduit tâche en vain de sortir,
Au cœur qui l'envoya revient pour repartir,
Et, reprenant sa marche incessamment suivie
Roule en cercle éternelle fleuve de la vie.
(Les trois Règnes de la Nature, chant VII)