L'origine de Croisade
On a donné ce nom aux expéditions que les chrétiens ont entreprises contre les infidèles pour la conquête de Terre-Sainte, parce que ceux qui s'armèrent pour y prendre part s'appelèrent croisés, de la croix d'étoffe rouge que chacun d'eux attacha, comme un signe de reconnaissance, sur son épaule droite ou à son chaperon.
Le premier prêcheur de la croisade
Ce fut Pierre l'Ermite qui le premier prêcha la croisade. Pierre l'Ermite, gentilhomme français, originaire d'Amiens en Picardie, quitta la profession des armes pour embrasser la vie d'ermite, et la vie d'ermite pour celle de pèlerin. Il fit un voyage en Terre-Sainte, vers 1093 : à son retour, il fit un tableau si déplorable des maux qu'il avait vu endurer aux chrétiens dans ces contrées, que le pape Urbain II l'envoya de province en province pour exciter les princes à se croiser, dans la vue de délivrer les fidèles de l'oppression.
Ce petit homme, avec un ton grossier et une mine rebutante, vint pourtant à bout de persuader : il vit bientôt à sa suite une foule innombrable de croisés de la première distinction. Godefroi de Bouillon, chef de la partie la plus brillante de la croisade, ne balança point à lui confier l'autre. L'ermite guerrier, avec sa tunique de laine, un grand froc, un petit manteau et les pieds nus, marcha à la tête de 40 000 hommes d'infanterie et d'une nombreuse cavalerie.
Mais cet homme, qui avait si bien réussi le bourdon à la main, échoua avec l'épée, et, après avoir enrôlé les autres sous l'étendard de la croix, il fut le premier à le déserter. Tancrède le fit rougir de son inconstance ; il lui fit promettre de ne plus abandonner une entreprise dont il était le premier auteur. Pierre l'Ermite tint parole, et se distingua au siège de Jérusalem en 1099.
La croisade comme prétexte
La croisade, dit Fleury, servait de prétexte aux gens obérés pour ne point payer leurs dettes ; aux malfaiteurs, pour éviter la punition de leurs crimes ; aux ecclésiastiques indisciplinés, pour secouer le joug de leur état ; aux moines indociles, pour quitter leurs cloîtres ; aux femmes perdues, pour continuer plus librement leurs désordres. Qu'on estime par là, ajoute ce judicieux historien, quelle devait être la multitude des croisés ?
Quelque sages que soient ces réflexions, il est vrai de dire que nos ancêtres trouvent leur excuse dans l'enthousiasme universel qui, comme une fièvre contagieuse, les embrasa pendant deux siècles ; d'ailleurs on doit regarder les croisades comme une ligue formée pour la défense des empires ; si elles dégénérèrent en scandales et en désastres, il ne faut s'en prendre qu'à la corruption des croisés ; et sans juger de la sagesse par l'événement, ajoutons qu'il ne leur manqua que le succès pour occuper le premier rang dans les fastes de la politique comme dans ceux de la religion.
La guerre sainte et le développement du commerce
C'est au temps des croisades qu'on peut fixer la première époque du commerce et de la navigation des Européens en Asie.
L'esprit guerrier des Européens, enflammé par un zèle religieux, leur fit prendre la résolution de délivrer la Terre-Sainte de la domination des infidèles. De vastes armées, composées de toutes les nations de l'Europe, se rassemblèrent pour cette étrange entreprise, et marchèrent vers l'Asie. Les Génois, les Pisans et les Vénitiens fournirent les bâtiments de transport, sur lesquels s'embarquèrent ces troupes, et les approvisionnements de vivres et de munitions de guerre.
Outre les sommes immenses que ces peuples reçurent pour cet objet, ils obtinrent encore des privilèges et des établissements de commerce de la plus grande importance, soit dans la Palestine, soit dans les autres parties de l'Asie dont les croisés s'emparèrent. Ce furent des sources de richesses prodigieuses pour les villes commerçantes d'Italie. Elles acquirent en même temps un égal accroissement de pouvoir ; et à la fin de la guerre sainte, Venise en particulier devint un état maritime, possesseur de vastes territoires , et jouissant d'un commerce fort étendu. L'Italie ne fut pas le seul pays où les croisades contribuèrent à ranimer et à répandre cet esprit d'activité qui préparait l'Europe à de futures découvertes.
Cette communication entre l'Orient et l'Occident subsista pendant près de deux siècles. Les aventuriers qui revenaient d'Asie communiquaient à leurs concitoyens les connaissances qu'ils avaient acquises et les habitudes qu'ils avaient contractées dans leurs voyages. Les Européens commencèrent à éprouver de nouveaux besoins ; les désirs furent excités par des objets nouveaux, et le goût des commodités et des arts des autres contrées se répandit bientôt parmi eux, au point que, non seulement ils encouragèrent les étrangers à venir dans leurs ports, mais qu'ils commencèrent à sentir les avantages et la nécessité de s'adonner eux-mêmes au commerce.