L'origine de Énigme
Espèce de description allégorique qui laisse deviner la chose décrite par ses qualités, ses propriétés, son origine ou ses effets.
Du langage aux allusions et des allusions aux énigmes
Dans la première origine des langues, les hommes furent obligés de joindre le langage d'action à celui des sons articulés, et de ne parler qu'avec des images sensibles. Les connaissances aujourd'hui les plus communes étaient si subtiles pour eux, qu'elles ne pouvaient se trouver à leur portée qu'autant qu'elles se rapprochaient des sens ; ensuite, lorsqu'on étudia les propriétés des êtres pour en tirer des allusions, on vit paraître les paraboles et les énigmes, qui devinrent d'autant plus à la mode, que les sages ou ceux qui se donnaient pour tels crurent devoir cacher au vulgaire une partie de leurs connaissances.
Par là, le langage, imaginé pour la clarté, fut changé en mystères ; le style dans lequel ces prétendus sages renfermaient leurs instructions, était obscur et énigmatique ; peut-être par la difficulté de s'exprimer clairement, peut-être aussi à dessein de rendre les connaissances d'autant plus estimables qu'elles seraient moins communes.
Le lien entre les énigmes et la sagesse
On vit donc les rois d'Orient mettre leur gloire dans les propositions obscures, et se faire un mérite de composer et de résoudre des énigmes. Leur sagesse consistait, en grande partie, dans ce genre d'étude. Un homme intelligent, dit Salomon, parviendra à comprendre un proverbe, à pénétrer les paroles des sages et leurs sentences obscures. C'était un usage chez eux pour éprouver leur sagacité, de se présenter ou de s'envoyer les uns aux autres des énigmes, et d'y attacher des peines et des récompenses. On connaît l'énigme que Samson proposa aux Philistins.
Tout le monde sait que lorsque Œdipe arriva à Thèbes, il trouva la ville désolée par un monstre appelé le Sphinx, qui proposait une énigme aux passants, et les dévorait s'ils ne la devinaient pas. Il demandait ordinairement : « Quel est l'animal qui a quatre pieds le matin, deux à midi, et trois le soir ? »
La redécouverte des énigmes au XVIIe siècle
Les énigmes étaient depuis longtemps dans l'oubli le plus profond, lorsqu'elles reparurent dans le XVIIe siècle. On les habilla pour lors en Europe avec plus d'art, de finesse et de goût qu'elles ne l'avaient été dans l'Asie, et on les soumit, comme les autres poèmes, à des lois et a des règles dont le père Ménestrier a publié un traité particulier.
L'énigme ne doit pas être tellement obscure qu'un esprit juste ne puisse la deviner après s'y être appliqué quelque temps ; un autre défaut qui, en diminuant la difficulté, émousse le plaisir d'une recherche curieuse, c'est le trop de clarté dans les indications. Une des qualités essentielles de l'énigme, c'est que la totalité de la description ne convienne qu'à la chose définie ; une autre, c'est la brièveté.
Il est presque inutile de dire que l'énigme et le logogriphe n'ont point de style propre. Il doit être analogue à la chose qui en fait l'objet et au but qu'on se propose. Par exemple, pour donner le change dans une énigme, on en annonce quelquefois le sujet en termes magnifiques quoiqu'il ne s'agisse que d'une chose très futile.
Voici une très jolie énigme de La Motte :
J'ai vu, j'en suis témoin croyable,
Un jeune enfant, armé d'un fer vainqueur,
Le bandeau sur les yeux, tenter l'assaut d'un cœur
Aussi peu sensible qu'aimable.
Bientôt après, le front élevé dans les airs,
L'enfant, tout fier de sa victoire,
D'une voix triomphante en célébrait la gloire,
Et semblait pour témoin vouloir tout l'univers.
Jusque là il n'y a personne qui ne dise c'est l'Amour ; mais on lit à la fin :
Quel est donc cet enfant dont j'admirai l'audace ?
Ce n'était pas l'Amour. Cela vous embarrasse.
Si ce n'est pas l'amour, qu'est-ce donc ? c'est le ramoneur et le portrait n'en est pas moins fidèle. Il est aisé de voir que ce qui rend ici la surprise encore plus piquante, c'est de trouver tant de ressemblance entre l'Amour et un ramoneur, qu'on ait pu prendre l'un pour l'autre.