L'origine de Érudition
La faible érudition des anciens
L'érudition, dit d'Alembert, est un genre de connaissance où les modernes se sont distingués par deux raisons : plus le monde vieillit, plus la matière de l'érudition augmente, et plus par conséquent il doit y avoir d'érudits, comme il doit y avoir plus de fortune lorsqu'il y a plus d'argent. D'ailleurs, l'ancienne Grèce ne faisait cas que de son histoire et de sa langue, et les Romains n'étaient qu'orateurs et politiques ; ainsi, l'érudition proprement dite n'était pas extrêmement cultivée par les anciens.
Il se trouva néanmoins à Rome sur la fin de la république, et ensuite du temps des empereurs, un petit nombre d'érudits, tels qu'un Varron, un Pline le naturaliste, et quelques autres.
L'anéantissement de l'érudition en Occident
La translation de l'empire à Constantinople, et ensuite la destruction de l'empire d'Occident, anéantirent bientôt toute espèce de connaissances dans cette partie du monde : elle fut barbare jusqu'à la fin du XVe siècle. L'Orient se soutint un peu plus longtemps ; la Grèce eut des hommes savants dans la connaissance des livres et dans l'histoire. A la vérité ces hommes savants ne lisaient et ne connaissaient que les ouvrages grecs ; ils avaient hérité du mépris de leurs ancêtres pour tout ce qui n'était pas écrit en leur langue ; mais comme sous les empereurs romains et même longtemps auparavant, plusieurs auteurs grecs, tels que Polybe, Dion, Diodore de Sicile, Denys d'Halicarnasse, etc., avaient écrit l'histoire romaine et celle des autres peuples ; l'érudition historique et la connaissance des livres, même purement grecs, était dès lors un objet considérable d'étude pour les gens de lettres de l'Orient. Constantinople et Alexandrie avaient deux bibliothèques considérables ; la première fut détruite par ordre d'un empereur insensé, Léon l'Isaurien ; celle d'Alexandrie fut brûlée par les Sarrasins en 640.
L'oeuvre de Photius
Photius qui vivait sur la fin du IXe siècle, lorsque l'Occident était plongé dans l'ignorance et la barbarie la plus profonde, nous a laissé, dans sa fameuse bibliothèque, un monument immortel de sa vaste érudition. On voit par le grand nombre d'ouvrages dont il juge, dont il rapporte des fragments, et dont une grande partie est aujourd'hui perdue, que la barbarie de Léon et celle d'Omar n'avaient pas encore tout détruit en Grèce ; ces ouvrages sont au nombre d'environ 225.
Quoique les savants qui suivirent Photius n'aient pas eu autant d'érudition que lui, cependant longtemps après Photius, et même jusqu'à la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453, la Grèce eut toujours quelques hommes instruits et versés, du moins pour leur temps, dans l'histoire et dans les lettres ; Psellus, Suidas, Eustache commentateur d'Homère ; Tzetzès, Bessarion, Gennadius, etc.
La redécouverte des lettres en Europe
On croit communément que la destruction de l'empire d'Orient fut la cause du renouvellement des lettres en Europe ; que les savants de la Grèce, chassés de Constantinople par les Turcs, et appelés par les Médicis en Italie, rapportèrent la lumière en Occident : cela est vrai jusqu'à un certain point. Mais l'arrivée des savants de la Grèce avait été précédée de l'invention de l'imprimerie, quelques années auparavant ; des ouvrages de Dante, de Pétrarque et de Bocace, qui avaient ramené en Italie l'aurore du bon goût ; enfin, d'un petit nombre de savants qui avaient commencé à débrouiller et même à cultiver avec succès la littérature latine, tels que le Pogge, Laurent Valla, Philelphe, et quelques autres.
Les Grecs de Constantinople ne furent vraiment utiles aux gens de lettres d'Occident que pour la connaissance de la langue grecque, qu'ils leur apprirent à étudier ; ils formèrent des élèves qui bientôt égalèrent ou surpassèrent leurs maîtres. L'étude approfondie des langues grecque et latine et des auteurs qui les avaient parlées, prépara insensiblement les esprits au goût de la saine littérature ; on s'aperçut que les Démosthène et les Cicéron, les Homère et les Virgile, les Thucydide et les Tacite, avaient suivi les mêmes principes dans l'art d'écrire, et on en conclut que ces principes étaient les fondements de l'art. Cependant les vrais principes du goût ne furent bien connus et bien développés que lorsqu'on commença à les appliquer aux langues vivantes.