L'origine de Manœuvre
Nous entendons par ce mot l'art de soumettre les mouvements du vaisseau à des lois, pour le diriger selon le besoin et le plus avantageusement qu'il est possible.
Les premières connaissances sur la pratique de la navigation
L'histoire nous apprend que les pilotes du roi Salomon acquirent les premiers des connaissances particulières dans la pratique de la manœuvre. Sous ces conducteurs expérimentés les flottes de ce prince arrivaient toujours à bon port, les voyages étaient heureux, et les vents les plus impétueux semblaient obéir à leur habileté et à leur adresse. Cela parut alors si surprenant que les peuples s'imaginèrent qu'on ne pouvait en attribuer la cause qu'à un pouvoir absolu que ce prince avait sur les flots ; en sorte que ses sujets, prévenus de cette puissance imaginaire, ajoutèrent à son titre de roi celui de souverain des vents.
On dit encore que l'empereur Probus, aussi peu instruit que Salomon sur ce que pouvait opérer une bonne manœuvre, avait laissé en Orient les Français qu'il avait faits prisonniers, et qu'il se flattait de les tenir longtemps dans la captivité ; mais que quelques uns d'entre eux, qui avaient un peu de pratique dans la manœuvre, persuadèrent aux autres de tenter leur fuite. Ils se saisissent de deux ou trois navires qui étaient dans le port, et s'abandonnent à la merci des vagues et des vents. Peu à peu la routine et l'expérience les ayant rendus plus habiles, ils radoubent leurs vaisseaux, ravagent toutes les côtes de la Thrace, du Bosphore, de la Grèce, de la Libye, de la Syrie, prennent et pillent Syracuse, et portent partout la terreur, la désolation et le dégât.
C'est ainsi que se développait la manœuvre dans les temps reculés.
Le perfectionnement des manœuvres
Le hasard, soutenu par de fréquents essais, donnait lieu à de faibles découvertes qui faisaient pourtant connaître l'excellence de cet art. De ces découvertes aucune n'a transpiré, parce qu'aucune ne méritait guère ce nom. L'illustre Génois André Doria, qui, sous François Ier, commandait les galères de France, fixa la naissance de la manœuvre par une pratique toute nouvelle qui lui acquit d'autant plus de gloire qu'elle était plus surprenante. Il connut le premier qu'on pouvait aller sur mer par un vent presque opposé à la route ; en dirigeant la proue de son vaisseau vers un aire de vent voisin de celui qui lui était contraire, il dépassait plusieurs navires qui, loin d'avancer, ne pouvaient que rétrograder.
Cette manœuvre jeta les marins dans un si grand étonnement, qu'ils l'attribuèrent à quelque chose de surnaturel. Moins effrayés et plus clairvoyants que ces gens-là, Du Gay-Trouin, le chevalier de Tourville, Jean Bart, Duquesne, poussèrent la pratique de la manœuvre à un point de perfection dont on ne l'aurait pas crue susceptible. Leur capacité dans cette partie de l'art de naviguer n'était cependant fondée que sur beaucoup de conduite et sur une grande connaissance de la mer ; le tout soutenu par une intrépidité peu commune. A force de tentatives, ces habiles marins s'étaient fait une routine, une pratique de manœuvre d'autant plus surprenante qu'ils ne la devaient qu'à leur génie : nulle règle, nuls principes proprement dits ne les dirigeaient, et la manœuvre n'était rien moins qu'un art.
Les premières théories sur la manœuvre des vaisseaux
Le père Pardiès, jésuite, est le premier qui ait essayé de la soumettre à des lois. Cet essai fut adopté par le chevalier Renau, qui, aidé d'une longue pratique de la mer, établit, sur les fondements du père Pardiès, une théorie très belle et très séduisante. Elle fut imprimée par ordre de Louis-le-Grand, et reçue du public avec un applaudissement général.
En 1714, Bernoulli fit paraître un livre intitulé : Essai d'une nouvelle théorie de la manœuvre des vaisseaux. Cet ouvrage, que les savants reçurent avec la plus grande faveur, était trop profond pour les marins, et les calculs analytiques dont il était chargé le rendaient d'un accès trop difficile aux pilotes : aussi a-t-on donné depuis plusieurs ouvrages dans lesquels ces principes sont très bien développés, et de ce nombre est celui que Savérien a publié en 1745 sous le titre de Nouvelle théorie de la manœuvre des vaisseaux.