L'origine de Cantique
Les plus anciens cantiques contiennent le récit des événements remarquables, ce qui doit les faire mettre au nombre des premiers monuments historiques. On y rend à Dieu des actions de grâces des bienfaits qu'on a reçus ou des victoires qu'on a remportées. Ils sont aussi quelquefois de touchantes élégies : le cantique de David, sur la mort de Saül et de Jonathas, est l'expression de la plus vive douleur.
La différence avec l'ode
Le cantique ne diffère de l'ode qu'en ce que celle-ci traite également tout sujet sacré ou profane, tandis que le premier n'embrasse que des objets religieux, et a ordinairement pour but de peindre l'admiration que nous causent la grandeur, la sagesse et les infinies perfections de la divinité, ou les sentiments de reconnaissance qu'excitent en nous sa bonté et ses bienfaits. Quand le poète de l'ode semble inspiré par Apollon, le poète du cantique semble inspiré par l'Esprit saint aussi règne-t-il chez ce dernier un caractère de dévotion, un enthousiasme religieux, qui constitue la différence entre ces deux espèces d'un même genre.
Un exemple de cantique
C'est Racine le tragique que nous prendrons ici pour modèle : Sur les veines occupations des gens du siècle
Quel charme vainqueur du monde
Vers Dieu m'élève aujourd'hui ?
Malheureux l'homme qui fonde
Sur les hommes son appui !
Leur gloire fuit et s'efface
En moins de temps que la trace
Du vaisseau qui fond les mers,
Ou de la flèche rapide
Qui, loin de l'œil qui la guide,
Cherche l'oiseau dans les airs.
De la sagesse immortelle
La voix tonne et nous instruit :
Enfants des hommes, dit-elle,
De vos soins quel est le fruit ?
Par quelle erreur, âmes vaines,
Du plus pur sang de vos veines
Achetez-vous si souvent,
Non un pain qui vous repaisse,
Mais une ombre qui vous laisse
Plus affamés que devant ?
Le pain que je vous propose
Sert aux anges d'aliment :
Dieu lui-même le compose
De la fleur de son froment.
C'est ce pain si délectable
Que ne sert point à sa table
Le monde que vous suivez ;
Je l'offre à qui veut me suivre :
Approchez : voulez-vous vivre ?
Prenez, mangez et vivez.
0 Sagesse, ta parole
Fit éclore l'univers,
Posa sur un double pôle
La terre au milieu des airs.
Tu dis, et les cieux parussent.
Et tous les astres coururent
Dans leur ordre se placer.
Avant les siècles tu règnes ;
Et qui suis-je, que tu daignes
Jusqu'à moi te rabaisser ?
Le Verbe, image du Père,
Laisse son trône éternel
Et d'une mortelle mère
Voulut naître homme et mortel.
Comme l'orgueil fut le crime
Dont il naissait la victime,
Il dépouilla sa splendeur,
Et vint, pauvre et misérable,
Apprendre à l'homme coupable
Sa véritable grandeur.
L'âme, heureusement captive,
Sous ton joug trouve la paix,
Et s'abreuve d'une eau vive
Qui ne s'épuise jamais.
Chacun peut boire en cette onde ;
Elle invite tout le monde ;
Mais nous courons follement
Chercher des sources bourbeuses
Ou des citernes trompeuses,
D'où l'eau fuit à tout moment.
Des chansons religieuses
On appelle encore cantiques des chansons religieuses et touchantes faites sur les principales circonstances de la vie d'un saint ou sur un événement remarquable, mais toujours dans l'intention de ramener le lecteur aux sentiments de la religion : tel est le fameux cantique de sainte Geneviève, connu de toutes les bonnes femmes. Les saints et leurs actions étant peu propos à inspirer la verve des poètes mondains, des esprits facétieux ont trouvé le moyen de chanter les habitants du paradis dans des espèces de parodies, auxquelles on a, par imitation, donné le nom de cantiques : tel est le cantique de saint Roch.
Le Cantique des Cantiques
On trouva à la fin du XIIe siècle, dans l'abbaye de Chaalis, près Senlis, une traduction du Cantique des Cantiques. Le chapitre général de Cîteaux, tenu en l'an 1200, ordonna aux abbés d'Orcamp et de Cercamp de se transporter à cette abbaye, et de faire brûler cette dangereuse production.
Théodore de Bèze a traduit le Cantique des Cantiques en petits vers latins très galants.
Voltaire fit une traduction en vers français du Cantique des Cantiques, dans laquelle il fit disparaître l'obscurité, l'incohérence des idées, et surtout l'obscénité apparente que beaucoup de critiques ont reprochée à ce livre. Le parlement trouva fort mauvais que Voltaire eût fait de ce cantique un poème en bons vers, et le fit brûler. L'abbé Cotin, aumônier et prédicateur du roi, mit autrefois en comédie pastorale le Cantique des Cantiques. Les vers et la comédie étaient détestables, et même peu honnêtes. Le parlement ne les fit pas brûler. C'est ce qui fit dire à un plaisant, lorsque l'on condamna le Cantique des Cantiques de Voltaire, que les conseillers n'aimaient que les mauvais vers et les mauvaises comédies.
Un ministre hollandais a cru trouver dans ce poème un drame régulier, et l'a divisé par actes et par scènes.