L'origine de Mesure
Connue depuis la plus haute antiquité
Les mesures ont été connues des Égyptiens, des Hébreux et des autres peuples dans la plus haute antiquité. Quant aux Grecs, plusieurs passages de l'Iliade nous apprennent qu'ils avaient l'usage des mesures et des balances dès le temps de la guerre de Troie ; et les Romains, indépendamment des mesures qu'ils empruntèrent aux Grecs, en eurent aussi qui leur étaient propres.
La mise en place d'une mesure universelle
En 1231, Henri Ier établit en Angleterre l'uniformité des poids et mesures ; Philippe-le-Long songeait à l'établir en France, quand il mourut ; Louis XI eut depuis la même pensée ; mais il était réservé au XVIIIe siècle d'opérer cette heureuse révolution, et d'appuyer le nouveau système sur une base que ne pourraient renverser, ni l'opiniâtre paresse ni les antiques préjugés.
Un peuple qui se donnerait un système de mesures dont les divisions uniformes se prêteraient le plus facilement au calcul, et qui dériveraient, de la manière la moins arbitraire, d'une mesure fondamentale indiquée par la nature elle-même, réunirait à l'avantage d'en recueillir les premiers fruits, celui de voir son exemple suivi par les autres peuples dont il deviendrait ainsi le bienfaiteur. Tels furent les motifs qui déterminèrent l'assemblée constituante à charger de cet important objet l'académie des sciences. Le nouveau système des poids et mesures est le résultat du travail de ses commissaires, secondés par le zèle et les lumières de plusieurs membres de la représentation nationale.
Les mesures décimales
L'identité du calcul décimal et de celui des nombres entiers ne laisse aucun doute sur les avantages de la division de toutes les espèces de mesures en parties décimales ; il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les difficultés des multiplications et des divisions complexes avec fa facilité des mêmes opérations sur les nombres entiers ; facilité qui devient plus grande encore au moyen des logarithmes, dont on peut rendre, par des instruments simples et peu coûteux, l'usage extrêmement populaire. On ne balança donc point à adopter la division décimale, et, pour mettre de l'uniformité dans le système entier des mesures, on résolut de les dériver toutes d'une même mesure linéaire et de ses divisions décimales. La question fut ainsi réduite au choix de cette mesure universelle, à laquelle on donna le nom de mètre.
Les mesures linéaires
La longueur du pendule et celle du méridien sont les deux principaux moyens qu'offre la nature pour fixer l'unité des mesures linéaires. On se détermina pour le second, qui, exempt des inconvénients du premier, paraît avoir été employé dans la plus haute antiquité...
On pouvait conclure la grandeur du quart du méridien, de celle de l'arc qui traverse la France depuis Dunkerque jusqu'aux Pyrénées, et qui fut mesuré, en 1740 par les académiciens français. Mais une nouvelle mesure d'un arc plus grand encore, faite avec des moyens plus exacts, devant inspirer en faveur du nouveau système des poids et mesures un intérêt propre à le répandre, on résolut de mesurer l'arc du méridien terrestre compris entre Dunkerque et Barcelone. Les opérations que Delambre et Méchain ont faites, et que Biot et Arago ont continuées jusqu'à l'île de Formentera, donnent le quart du méridien égal à 5,130,740 toises. On a pris la dix-millionième partie de cette longueur pour le mètre ou l'unité des mesures linéaires. Toutes les mesures dérivent du mètre, de la manière la plus simple : les mesures linéaires en sont des multiples et des sous-multiples décimaux.
Les mesures de capacité
L'unité des mesures de capacité est le cube de la dixième partie du mètre : on lui a donné le nom de litre.
Les mesures superficielles
L'unité des mesures superficielles, pour le terrain , est un carré dont le côté est de dix mètres : elle se nomme are, ou perche carrée. On a nommé stère un volume de bois de chauffage égal à un mètre cube.
Les mesures du poids
L'unité de poids, que l'on nomme kilogramme, ou livre décimale, est le poids de la millième partie d'un mètre cube d'eau distillée, considérée dans le vide à son maximum de densité.
La mesure de la monnaie
Toutes les mesures étant comparées sans cesse à la monnaie, il était surtout important de la diviser en parties décimales. On a donné à son unité le nom de franc d'argent : sa dixième partie s'appelle décime, et sa centième partie centime. On a rapporté au franc les valeurs des pièces de monnaie de cuivre et d'or.
La mesure du temps
Enfin l'uniformité du système entier des poids et mesures a exigé que le jour fût divisé en dix heures, l'heure en cent minutes, et la minute en cent secondes. Cette division, qui va devenir nécessaire aux astronomes, est moins avantageuse pour la vie civile, où l'on a peu d'occasions d'employer le temps comme multiplicateur ou comme diviseur. La difficulté de l'adapter aux horloges et aux montres, et nos rapports commerciaux en horlogerie avec l'étranger ont fait suspendre indéfiniment son usage.
La proposition de ce système aux autres nations
« Tel est le nouveau système des poids et mesures que les savants ont offert à la convention nationale, qui s'est empressée de le sanctionner. Ce système, fondé sur la mesure des méridiens terrestres, convient également à tous les peuples. Il n'a de rapport avec la France que par l'arc du méridien qui la traverse. Mais la position de cet arc est si avantageuse, que les savants de toutes les nations, réunis pour fixer la mesure universelle, n'eussent point fait un autre choix.
Pour multiplier les avantages de ce système, et pour le rendre utile au monde entier, le gouvernement français a invité les puissances étrangères à prendre part à un objet d'un intérêt aussi général. Plusieurs ont envoyé à Paris des savants distingués qui, réunis aux commissaires de l'institut national, ont déterminé, par la discussion des observations et des expériences, les unités fondamentales de poids et de longueur ; en sorte que la fixation de ces unités doit être regardée comme un ouvrage commun aux savants qui y ont concouru et aux peuples qu'ils ont représentés. Il est donc permis d'espérer qu'un jour ce système, qui réduit toutes les mesures et leurs calculs à l'échelle et aux opérations les plus simples de l'arithmétique décimale, sera aussi généralement adopté que le système de numération dont il est le complément. » (Extrait de l'Exposition du système du monde, par M. le comte de Laplace)
La mesure en musique
Plusieurs auteurs, qui ont écrit sur la musique, pensent, dit Millin, dans son Dictionnaire des beaux-arts, que la mesure est de nouvelle invention. Mais, au contraire, les anciens pratiquaient la mesure ; ils lui avaient même donné des règles très sévères et fondées sur des principes que la nôtre n'a plus. En effet, chanter sans mesure n'est pas chanter ; et le sentiment de la mesure n'étant pas moins naturel que celui de l'intonation, l'invention de ces deux choses n'a pu avoir lieu séparément.
Suivant Burette, les anciens battaient la mesure de plusieurs façons. La plus ordinaire consistait dans le mouvement du pied qui s'élevait de terre et la frappait alternativement, selon la mesure des deux temps égaux ou inégaux. C'était ordinairement la fonction du maître de musique, appelé coryphée. Les batteurs de mesure garnissaient ordinairement leurs pieds de certaines chaussures ou sandales de bois ou de fer, destinées à rendre plus éclatante la percussion rythmique. Ils battaient la mesure non seulement du pied, mais aussi de la main droite dont ils réunissaient tous les doigts pour frapper dans le creux de la main gauche, et celui qui marquait ainsi le rythme s'appelait manuductor.
Outre ce claquement de mains et le bruit des sandales, les anciens avaient encore, pour battre la mesure, celui des coquilles, des écailles d'huîtres et des ossements d'animaux qu'on frappait l'un contre l'autre, comme on fait aujourd'hui avec les castagnettes, le triangle et autres pareils instruments. Tout ce bruit, si désagréable et si superflu parmi nous, à cause de l'égalité constante de la mesure, ne l'était pas de même chez eux, où les fréquents changements de pieds et de rythmes exigeaient un accord plus difficile, et donnaient au bruit même une variété plus harmonieuse et plus piquante ; encore peut-on dire que l'usage de battre ainsi ne s'introduisit qu'à mesure que la mélodie devint plus languissante, et perdit de son accent et de son énergie. Plus on remonte, moins on trouve d'exemples de ces batteurs de mesure ; et dans la musique de la plus haute antiquité on n'en trouve plus du tout.